La vertu chrétienne de l'hospitalité journée mondiale du migrant 2020

Les chrétiens n’ont pas le monopole de l’hospitalité. Déjà les civilisations anciennes, aussi bien grecque que romaine, sans oublier le monde juif et plus tard la culture musulmane considèrent l’hospitalité comme une très grande vertu. A vrai dire, cet accueil de l’autre chez soi, pour en indiquer une première définition, cette place laissée à l’autre dans sa différence est une posture éthique fondamentale de notre humanité. Êtres de relation, comme humains, nous ne trouvons notre identité véritable que dans cette relation authentique qui accueille l’autre dans sa différence : à commencer par la relation entre l’homme et la femme, entre les parents et l’enfant nouveau-né, entre les frères et sœurs d’une même famille, pour s’élargir à la relation aux autres de la société, à l’étranger, au réfugié, au démuni, et ultimement à Dieu même.

Concernant l’accueil des migrants et des réfugiés, la tradition biblique et ecclésiale nous fournit de nombreux repères.

Dans l’Ancien Testament

Abraham, Isaac, Jacob ont vécu comme des étrangers dans la terre de Canaan. Plus tard, les Israélites se retrouvent étrangers et opprimés en Égypte. Cette condition fait partie de l’identité d’Israël. Une fois libérés d’Égypte et arrivés dans la Terre promise, cette mémoire d’avoir été étranger est devenue centrale dans le code de l’Alliance : « L'étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l'aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d'Égypte. Je suis Yahvé votre Dieu. » (Lv 19,33-34). L’exercice de l’hospitalité (et de manière générale le soin vis-à-vis des pauvres) est devenu normatif pour le peuple de Dieu, comme une imitation du comportement de Dieu, face aux besoins de son peuple.

Une telle hospitalité est clairement mise en exemple dans les récits d’Abraham accueillant les trois visiteurs à Mambré (Gn 18,1-15), de Lot assurant la protection de ses invités à Sodome (Gn 19,1-23), de la veuve de Sarepta nourrissant Elie (1 R17,8-16). En même temps, la Bible témoigne d’une tension qui demeure entre ce devoir d’hospitalité et la crainte que les étrangers n’encouragent le peuple à succomber à des rituels idolâtriques en l’honneur des dieux étrangers. L’étranger peut êtreune menace pour la pureté de l’Alliance (cf. Esd 9-10, Ne 9).

Dans le Nouveau Testament

Les thèmes de l’hospitalité, du statut des étrangers et des relations à Dieu sont aussi intimement reliés, mais le regard s’élargit. Jésus lui-même, né dans une famille temporairement sans logis dans une ville étrangère (Lc 2,1-15), est obligé de fuir et  devint un réfugié en Égypte (Mt 2, 13-15). Son ministère public souligne de deux manières le thème de l’hospitalité. L’annonce de la venue du Règne de Dieu est symbolisée par des repas festifs ou des grands banquets (Mt 8,11 ; 22,1-4 ; Lc 14,16-24) comme les repas de noces (Mc 2,18-22 ; Mt 25,21). C’est Dieu qui est l’hôte de son peuple. Par ailleurs, les évangiles montrent comment Jésus vit en accord avec cette venue du Royaume : en mangeant et buvant « avec les publicains et les pécheurs » (Mc 2,15 ; Mt 11,18 ; Lc 19,1-10), ou en les accueillant (Lc 7,36 ; 15,1-2), il révèle que le Royaume accueille ceux qui étaient perdus. Jésus manifeste l’hospitalité de Dieu à l’égard de tous.

À leur tour, les chrétiens sont invités à imiter le Christ dans son hospitalité. Paul et les Actes y insistent beaucoup et c’est devenu une caractéristique centrale des premières communautés chrétiennes du monde romain (cf. 1 Co 11, Ac 10, He 11...), même si celle-ci ne s’exerce jamais sans discernement.

Les dimensions de l’hospitalité chrétienne

L’histoire de l’Israël ancien, tout comme les textes du Nouveau Testament, insiste sur le fait que les meilleurs hôtes sont ceux qui savent qu’ils ont été eux-mêmes étrangers, ou ceux qui ont fait l’expérience dans leur vie de leur manque de pouvoir ou de reconnaissance. Les chrétiens sont des « étrangers et des voyageurs dans ce monde » (1 P2,11-12)

Si nous sommes devenus capables d’accueillir l’autre, c’est fondamentalement parce que nous-mêmes nous avons été accueillis dans notre vulnérabilité. Notre hospitalité est fondée sur celle de Dieu à notre égard.

En accueillant l’étranger, c’est notre relation à Dieu qui est en jeu. Pour Abraham et Zachée, l’hospitalité est une occasion de rencontrer Dieu en vérité et de découvrir sa miséricorde. Jésus lui-même s’identifie à l’étranger ou à l’homme dans le besoin qui nous fait peur : « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

L’hospitalité est donc une occasion de conversion, et ceci selon diverses dimensions. L’hospitalité ne nous laisse pas inchangés et nous sommes souvent appelés à devenir l’invité de notre invité ou l’hôte de notre hôte. Abraham et Zachée révisent leur conception de Dieu, Pierre et Corneille (Ac 10-11) sont transformés tous les deux et leur communauté avec eux.

L’hospitalité en dernier ressort nous guide vers la réciprocité et l’amitié. Accueillir une personne est davantage que donner de la nourriture et un logement, c’est aussi un moyen de partager avec ceuxque nous recevons et recevoir d’eux en échange le cadeau surprenant qu’ils peuvent nous offrir. Abraham reçut le don d’un fils, Zachée reçut le salut, la chance de retrouver son statut de fils d’Abraham et de devenir l’ami de Jésus, Pierre et Corneille initièrent une nouvelle relation d’amitié entre Juifs et Païens au sein de la communauté chrétienne. Une relation d’abord dissymétrique peut progressivement s’ouvrir à une réciprocité respectueuse de chacun.

Aujourd’hui cette hospitalité se manifeste de manières diverses. Pensons au réseau Welcome du Service jésuite des réfugiés (JRS France), l’accueil dans les appartements de l’Association pour l’Amitié (APA), au centre d’hébergement Valgiros ou encore aux « tables ouvertes » des paroisses. Autant de manières de mettre en œuvre cette vertu grâce à laquelle, comme dit l’épître aux Hébreux, « quelques-uns, à leur insu, ont hébergé des anges » (He 13,2). 

Père Alain Thomasset, sj

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