La doctrine sociale de l'Eglise

Quelle est la légitimité d'un engagement de chrétiens actuellement dans la viesociale française ?

Dès le début du christianisme, les chrétiens ont été appelés à être, par leur baptême,configurés au Christ prêtre, prophète et roi.

Ils se donc rapidement interrogés sur la façon de traduire les exigences de l'Evangile dans la vie sociale, politique et économique.

Très tôt ils ont dénoncé les excès de la propriété, les méfaits du culte de l'argent et du luxe, mis en place des réalisationsconcrètes de charité : hospices, hôpitaux, écoles,...

C'est le pape Léon XIII qui a publié en 1891 la première encyclique sociale moderne « Rerum novarum » (des choses nouvelles avec en sous-titre « de la condition des ouvriers »), texte fondateur de la doctrine sociale de l'Eglise face à la révolution industrielle, ses découvertes, ses progrès mais aussi ses dérives inhumaines et aux conflits qu'elle génère.

Cette doctrine a étéensuite enrichie de très nombreux textes : « Quadragesimo anno » en 1941élargit le champ de la réflexion à l'ordre économique et social dans son ensemble ; « Mater et magistra » prend une dimension mondiale et se penche sur la réalité du sous-développement au nom des exigences de la justice ; « Gaudium et spes » présente une vision dynamique de l'homme, de la société et de la vie socio-économique ; « Popularum progressio » en 1967 insiste sur le développement des peuples et sur les disparités entre les peuples qui mettent la paix en péril ; « Sollicitudio Rei socialis » fait le constat sévère d'une situation du développement en échec dans le monde et rappelle que les biens du monde sont à l'origine destinés à tous.

Plus récemment Benoit XVI dans « Caritatis in veritate » demande de réinterroger les pratiques économiques « on ne s'en sortira pas simplement par des solutions techniques, sans une conversion de l'homme à d'autres modes de vie» ; il dit aussi : « le phénomène des migrations est un aspect qui mérite attention quand on parle de développement humain intégral. C'est un phénomène qui impressionne en raison du nombre depersonnes qu'il concerne (...) il s'avère que les travailleurs étrangers, malgré les difficultés liées à leur intégration, apportent par leur travail une contribution appréciable au développement économique du pays qui les accueille. Tout migrant est une personne humaine qui, en tant que telle, possède des droits fondamentaux qui doivent être respectés par tous et en toute circonstance ». Deus caritas est §62

La doctrine sociale est assez bien résumée dans le « Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise » publié en 2004 par le Conseil Pontifical Justice et Paix. Ce Compendium comprend 3 grands thèmes :

- le desseind'amour de Dieu pour l'humanité,

- la famille, cellule vitale de la société,

- la doctrine sociale et l'action ecclésiale.

Ce n'est ni un programme politique, ni un soutien des pouvoirs, ni une troisième voie entre capitalisme et socialisme.

Trois principes majeurs y sont affirmés, inspirésde l'Evangile :

- la primauté de la dignité de la personne humaine, créée à l'image et à la ressemblance de Dieu, dignité inaliénable ;

- le principe de subsidiarité, qui permetà tous les acteurs de la société d'exercer et d'assumer la partde responsabilité qui leur revient là où ils se trouvent ; ce principe nécessite une approche rigoureuse de la question socialeet de la dimension sociale de la personne ;

- le principe de solidarité face à la nécessité d'une moralisation de la vieéconomique et politique dans une société où nous vivons en interdépendance et où les différences se creusent : l'autre est un égal et un frère.

Le Compendium affirme aussi :

- la légitimité de la propriété privée, inscrite dans la destination universelle des biens ;

- la force du droit et la référence aux droits de l'homme en vue de fonder la paix sociale et la considération mutuelle ;

- l'option préférentielle pourles pauvres, les premiers appelés dans le Royaume ;

- lapromotion d'un développement intégral : tout homme, tout l'homme, tous les hommes ;

- la légitimité du pluralisme en politique ;

- la considération du « paramètre intérieur » (propre à l'homme, créé et appelé par Dieu) comme clé d'un développement juste ;

- les droits de la conscience ;

- les conditions d'une écologie humaine.

La mission de l'Eglise est double : annoncer le Royaume inauguré par le Christ et participer à la promotion d'une société du droit et de la solidarité entre tous les vivants.

La personne humaine est un être spirituel et un être social, un être vulnérable et un être endevenir.

La foi appelle le chrétien à participer à la construction qui continue l'acte créateur et s'ouvre sur le Royaume promis : justice, amour et paix.

La doctrine sociale appelle le chrétien à porter un regard responsable sur l'évolutionde la société et de la planète : dénoncer ce qui nous entraîne vers la destruction de l'humain, annoncer ce qui permet à l'humanité de déployer ses possibles.

Plus récemment le pape François a illustré cette doctrine par sa démarche à Lampedusa et l'a déclinée dans son exhortation apostolique « Evangelii Gaudium » : « aujourd'hui nous devons dire non à une économie de l'exclusion et de la disparité sociale. Une telle économie tue.(...) On considère l'être humain en lui-même comme un bien de consommation qu'on peut utiliser et ensuite jeter.(...) Les exclus ne sont pas des exploités, mais des déchets, des « restes ».Dans ce contexte, certains défendent encore des théories de la rechute favorable qui supposent que chaque croissance économique favoriséepar le libre marché réussit à produire en soi une plus grande équité et une inclusion sociale dans le monde. Cette opinion qui n'a jamais été confirmée par les faits exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. En même temps les exclus continuent à attendre. (...)Une des causes de cette situation se trouve dans la relation que nous avons établie avec l'argent, puisque nous acceptons paisiblement sa prédominance sur nous et sur nos sociétés. La crise financière que nous traversons nous fait oublier qu'elle a, à son origine, une crise anthropologique profonde : la négation du primat de l'être humain!(...) Le pape aime tout le monde, riches et pauvres, mais il a le devoir, au nom du Christ, de rappeler que les riches doivent aider les pauvres, les respecter et les promouvoir. Je vous exhorte à la solidarité désintéressée et à un retour de l'économie et de la finance à une éthique en faveur del'être humain. » § 53,54,55 et 58.

Le pape François insiste sur la dimension sociale de l'évangélisation : « chaque chrétien et chaque communauté sont appelés à être instruments de Dieu pour la libération et la promotion des pauvres, de manière à ce qu'ils puissent s'intégrer pleinement dans la société ; ceci suppose que nous soyons dociles et attentifs à écouter le cri du pauvre et à le secourir.(...) Notre engagement ne consiste pas exclusivement en des actions ou des programmes de promotion et d'assistance ; ce que l'Esprit suscite n'est pas un débordement d'activisme , mais avant tout une attention à l'autre qu'il considère comme un avec lui . Cette attention aimante est le début d'une véritable préoccupation pour sa personne, à partir de laquelle je désire chercher effectivement son bien. (...) Il est indispensable de prêter attention aux nouvelles formes de pauvreté et de fragilité dans lesquelles nous sommes appelés à reconnaître le Christ souffrant, même si en apparence, cela ne nous apporte pas des avantages tangibles et immédiats : les sans-abri, les toxicodépendants, les réfugiés, ...» §187,199 et 210

Le papeinvite toutes les communautés à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour avancer sur les chemins d'une conversion pastorale et missionnaire qui ne peut laisser les choses comme elles sont ; à ceux qui pensent que c'est difficile actuellement, il rappelle : « A tous les moments de l'histoire, la fragilité humaine est présente, ainsi que la recherche maladive de soi-même, l'égoïsme confortable et, en définitive la concupiscence qui nous guette tous.(...) Par conséquent, ne disons pas qu'aujourd'hui c'est plus difficile ; c'est différent. Apprenons plutôt des saints qui nous ont précédés ... » § 263.Il nous incite à trouver motivation dans la rencontre avec l'amour du Christ, dans la prière et dans la lecture de l'Evangile.

La paroisse St Roch en Valde Saône a inscrit en 2009 sa démarche de solidarité dans le cadre de cette doctrine sociale avec la création d'Habitat Saint Roch pour accueillir, héberger, soutenir et accompagner des familles en grande précarité, au nom de sa foi au Christ et de sa conviction dans la dignité inaliénable de toute personne humaine.

Et nous pouvons maintenant témoigner que cette démarche certes pleine de difficultés mais ancrée dans cette doctrine sociale, dans la foi et la prière a une valeur d'évangélisation dans notre société actuelle.

J Paul Vuiart
à partir d'une intervention du PèreB Marie Duffé lors d'un café théo de 2009 en Val de Saône

 

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